Dès sa jeunesse il fut pieux et vertueux, et montra d'heureuses dispositions pour l'étude; plus tard il reçut la prêtrise et d'après quelques chroniqueurs devint archevêque.

Une persécution ayant éclaté en Arménie, il se réfugia à Rome où il fut reçu par le pape Caius, ou plus vraisemblablement d'après le Père Guesquière, par le pape Marcelin.

Le Souverain-Pontife formait en ce moment une caravane de missionnaires destinés à prêcher l'évangile dans le nord des Gaules. Chrysole en fit partie ; leurs noms sont restés célèbres : Piat, Eubert, Quentin, Crépin, Crépinien, Lucien, Fuscien, Ruffin, Valère, Victoric, etc., héros de la foi qui ont traversé seize siècles sans perdre leur popularité, et dont les conquêtes demeurent, quand tant d'autres n'ont pas laissé de traces.

Chrysole se fixa à Comines vers l'an 286, et prêcha dans la contrée environnante, mais la persécution avait gagné tout l'empire et un jour qu'il passait à Verlinghem, il fut saisi par des soldats romains qui l'accablèrent de coups et lui tranchèrent le sommet de la tête. Ceci se passait en l'an 302.

Ce genre de supplice, qui fut aussi infligé à Saint Piat, à Saint-Géréon et à d'autres martyrs, est regardé par les hagiographes comme une insulte au signe caractéristique des prêtres catholiques, la tonsure ; les païens voulaient s'attaquer surtout à cette marque particulière de leurs victimes, pretiosa corona.

Jusqu'à ce moment nous sommes restés dans l'histoire, mais voici la légende : Chrysole se serait relevé, aurait ramassé son crâne et se serait mis en route pour Comines en le portant devant lui, avec la canole de Saint Pierre que le pape lui avait donnée à son départ de Rome (1). Bientôt il fut pris d'une soif ardente et aussitôt une fontaine jaillit devant lui, où il se désaltéra ; arrivé à Comines il aurait déposé son crâne sur l'autel de sa chapelle et serait tombé mort.

StChrysoleLe Père Ghesquière, bollandiste, se refuse à croire à cette tradition : «la distance de Verlinghem à Comines, dit-il, est de deux lieues, personne ne peut admettre que le Saint ait porté dans cet espace son crâne entre ses mains.» Il renvoie ensuite à ce qu'il a dit de Saint Piat : «Il resté à examiner, écrit-il à cet endroit, ce que Pierre de Natalibus a dit de ce martyr, et ce que des auteurs trop crédules du 17e siècle ont répété, à savoir que ce saint aurait pris sa tête entre les mains et l'aurait portée de Tournai à Seclin, à l'endroit ou il avait choisi sa sépulture... Ce miracle a soulevé bien des controverses. Je crois que ce sont les peintres qui ont inventé cette fable ou qui l'ont reproduite. D'abord un peintre aura représenté ainsi le Saint pour indiquer son genre de mort, caries martyrs sont ordinairement représentés avec l'instrument de leur supplice, et c'est de cette peinture qu'est née la légende.

« On n'en trouve rien dans les actes que j'ai eus entre les mains, rien dans Fulbert de Chartres, rien dans Vincent de Beauvais... Aussi les Tournaisiens ont bien fait de supprimer, en 1712, cette fable de l'office de St-Piat. » (2)

L'office de St-Chrysole, tel qu'il se célébrait à la collégiale de St-Pierre de Lille, dit simplement : amputato itaque sacri antistitis vertice, beatam animam Deo reddidit.

Saint Chrysole fut enseveli à Comines dans la chapelle qu'il avait construite ; en 656, Saint Eloi fit l'élévation de ses reliques et les enferma dans une belle châsse d'argent ; des historiens prétendent que ce fut à cette occasion que fut instituée la collégiale de Saint-Pierre, mais Buzelin croit cette fondation plus récente, elle ne serait pas antérieure, selon lui, à l'année 1146.

A l'époque des invasions normandes, le corps de St Chrysole fut porté à Cologne d'où il revint en l'an 1000, sous l'épiscopat de Harduin, évêque de Tournai. On ignore jusqu'à quelle époque Comines le conserva. L'abbé Derveaux (Annales religieuses de Comines) pense qu'il fut transporté à Bruges au moment des guerres du 12e siècle, ou peut-être à l'époque de la prise de Lille par Philippe-Auguste en 1213. D'autres auteurs supposent que cette translation n'eut lieu qu'au 15 siècle.

Cousin s'exprimait ainsi en 1619 : «Ceux de Comines ont esté privez par les guerres de cette fierté, de manière que ceux qui sont aujourd'hui les plus vieux de la ville n'ont pas mémoire de l'avoir vue

Le Saint corps resta à Bruges, dans l'église de St-Donat, sans qu'on rencontre traces de revendications jusqu'au 16e siècle ; mais après les guerres de religion, les chanoines de Comines songèrent à réclamer ce qu'ils pouvaient considérer comme leur bien. Philippe Triest qui fut doyen du chapitre pendant quarante ans fit de nombreuses démarches qui n'eurent aucun succès ; tous les titres authentiques avaient disparu.

Cependant en 1611, ils obtinrent une parcelle de ces reliques, mais elle avait passé par Tournai. Cousin reproduit l'acte suivant: (Traduction) « Charles Philippe de Rodoan par la grâce de Dieu évêque de Bruges... nous vous faisons savoir que nous le jour de la date de ces présentes, nous avons, pris hors de la fierté des reliques de St Chrysole, évesque et martyr, qui repose en nostre église cathédrale de St-Donatian, une partie notable d'une coste du mesme Saint, et ce en présence des Révérends et Vénérables seigneurs le Doyen, Chantre et Archiprêtre et autres Chanoines de nostre dicte cathédrale, et l'avons envoyée aux Révérends, Vénérables et excellents Seigneurs Doyen et Chapitre de l'église cathédrale de Tournay ; ne doutans point qu'ils ne feront devoir de révérence telle qu'il appartient aux dictes reliques. En témoignage de quoi nous avons commandé de dépescher ces lettres..., 28 septembre 1611. »

En reconnaissance de ce don l'évêque de Tournai envoya Bruges un os de St Eleuthère.

Ce fut un fragment de la relique que l'évêque de Tournai venait de recevoir de Bruges, qui fut donné à Comines dans le cours de la même année.

La ville de Lens, en Artois, possédait aussi, dans la collégiale de Notre-Dame, une relique de St Chrysole, Raisius cite ces vers :

Continet ecclesiœ lensensis cella Mariae,

Corpora sub feretris sanctorum condita claris ;

Valgani celsi qui quondam natus ab Anglis,

Ac Willibrordi, Trajecti prœsulis almi,

Corpus Chrysolii martyris eximii...

Le chœur de l'église Notre-Dame, à Lens, contient plusieurs corps de saints enfermés dans de belles châsses ; celui du grand Valgan anglais, celui de Willibrord, illustre évêque d'Utrecht, le corps de Chrysole, le martyr éminent...

Il est évident que le mot corps ne veut pas dire le corps entier, mais une portion des ossements ; cette façon de s'exprimer à propos de reliques n'est pas rare.

En 1636, l'évêque de Bruges, Servais Quinckère, se laissa attendrir par les réclamations de Comines et, à la prière de Maximilien Vilain de Gand, évêque de Tournai, il remit au chapitre de Comines une portion beaucoup plus importante du corps de St Chrysole. La translation se fit avec grande pompe ; l'évêque de Tournai porta lui-même ces reliques de Quesnoy à Comines, sur le même chemin qu'avait suivi le Saint venant de Verlinghem.

On voyait inscrit sur un arc de triomphe ce chronogramme :

eâ Ipsâ reDVCItVr Vlâ qVâ Venlt

Vt Martlr obIret (1636).

L'anniversaire de cette translation se célèbre encore aujourd'hui, le dimanche qui précède la fête de St Simon et St Jude, 28 octobre.

« La châsse qui renferme ces reliques, magnifiquement ornée, fut placée dans un habitacle au milieu du maître-autel. Lors du prolongement du chœur en 1767, le Chapitre fit faire un élégant piédestal, objet d'art qu'on voit encore de nos jours et sur lequel elle est placée durant la neuvaine qui commence le 7 février. La procession qui termine cette neuvaine réunit en faisceau la population cominoise, et attire une foule immense d'étrangers que ne sauraient arrêter ni les pluies ni les froids rigoureux de la saison. » (Bulletin de la commission historique, t. 12, p. 519)

Le 9 février 1855, Mgr Malou, évêque de Bruges, permit l'ouverture du coffret qui renfermait les restes de St Chrysole à St-Donat. M. l'abbé Derveaux, vicaire de Comines, qui assistait à cette ouverture, en a laissé un procès-verbal.

«Le coffret paraît très vieux. On voit sur le couvercle d'anciens sceaux épiscopaux et les armoiries de la famille de Ghistelles, dont une demoiselle a épousé Jean de Comines vers le milieu du XVe siècle ce qui indiquerait la date du transfert du coffret (3). Les panneaux de l'intérieur sont revêtus de soie autrefois rouge et maintenant tout à fait décolorée. Un tissu de fleurs d'argent est attaché à cette soie. Sur de la ouate sont placés deux voiles, l'un de soie rouge, l'autre garni de riches dentelles ; sur ces voiles sont déposées les reliques : deux hanches, quelques parcelles des côtes, une dent et quelques osselets. Le crâne est entier du front à l'occiput. Les coups de l'instrument qui servit à donner la mort au Saint se remarquent au front du chef dont l'inspection indique que St Chrysole était vieux

Trois chartes latines étaient déposées dans le coffret, elles indiquent que les reliques ont été visitées le 7 février 1612 par Mgr de Rodoan ; le 7 février 1636 par Mgr Servais Quinkére et le 7 février 1698, par Mgr Guillaume Bosserey.

1. D'après le Glossaire de Roquefort le mot canole voudrait dire canne, bâton ; mais d'après certains hagiographes, c'était une boîte dans laquelle les prêtres et les missionnaires portaient les hosties consacrées : d'autres en font un tube de métal renfermant des reliques, et la canole de St Pierre remise par le Pape à Chrysole, aurait contenu un anneau de ses chaînes. (Voir Ducange, édition de Niort, au mot Canola).
2. Acta Sanctorum Belgia, T. I, p. 111
3. Jean I de la Clyte, sire de Comines, mort en 1443, avait épousé Jeanne de Ghistelles, morte le 9 octobre 1431 ; ils furent enterrés tous deux dans la chapelle de St-Chrysole, derrière le chœur, du côté du midi.

Souvenirs religieux de Lille et de la région, 1894