Bien qu'elle ait été biographiée plusieurs fois, nous ne résistons pas à l'envie de la faire entrer dans nos Souvenirs (1)

Jean de Warneton naquit à Warneton en 1040 ; son père se nommait Guillaume et sa mère Vagale ou Phagale ; ils étaient tous deux pieux et charitables et donnèrent à leur fils une éducation chrétienne qui s'acheva auprès d'un des maîtres les plus illustres de l'époque : Yves de Chartres.

JeandeWarnetonOn ne trouve pas la date de son admission parmi les chanoines de St-Pierre, ni l'époque où il résigna son bénéfice, mais on sait qu'il fut à Lille, le collègue et l'ami de Lambert de Guines, chantre de la collégiale, nommé évêque d'Arras le 10 juillet 1093. On peut supposer que ce fut en ce moment qu'il quitta Lille pour suivre son ami en Artois, et en même temps chercher dans le cloître une vie plus parfaite. « Bref la liberté du monde luy sembloit une prison dont il se voulut délivrer, aspirant au plus haut degré de perfection dans le sanctuaire d'un monastère, d'où il pourroit prendre son essor libre vers le ciel. » (M. Lhermite p. 227.)

Il entra dans l'abbaye des chanoines réguliers de St-Augustin, au Mont-Saint-Eloi, près d'Arras, et édifia bientôt toute la communauté par la ferveur avec laquelle il accomplissait tous les devoirs de la règle.

Son séjour n'y fut pas de longue durée. Lambert, qui organisait son diocèse (2), connaissait tous ses mérites et voulut l'avoir pour collaborateur, en le mettant à la tête de l'archidiaconé d'Arras. Il éprouva une double résistance : celle de l'humble moine d'abord, puis celle de la communauté qui ne voulait pas se dessaisir du plus édifiant de ses religieux. Il fallut que l'évêque la menaçât de l'interdiction, s'il ne lui était pas livré ; «Episcopus divinorum interdictu officiorum totam mulctat ecclesiam, ut unam inde eliciat personam

Mais à peine était-il placé à la tête de son archidiaconé que l'église de Thérouanne le choisit pour son évêque. Ce diocèse était en proie à l'anarchie. En 1081, l'évêque Hubert, se trouvant en désaccord avec ses chanoines, avait été dénoncé par eux à l'archevêque de Reims, son métropolitain. Il voulut se défendre et partit pour Reims ; pendant son absence, l'opposition augmenta, les chanoines excitèrent le peuple contre lui et à son retour il fut reçu par une troupe d'hommes armés qui le blessèrent grièvement. Il put toutefois se retirer au monastère de St-Bertin, à St-Omer, où il guérit, et où il prit l'habit des moines, après avoir déposé la dignité épiscopale.

Tandis que les diocésains de Thérouanne se préparaient à élire son successeur, le comte de Flandre, Robert de Frison, voulut leur imposer un évêque de son choix : c'était un certain Albertin, homme sans mœurs, que les chanoines refusèrent d'accepter ; mais il se présenta escorté des soldats du comte, brisa les portes de la cathédrale, dispersa les chanoines, en blessa plusieurs et s'installa par la force.

Son triomphe ne dura guère ; quelques mois après, les mêmes soldats qui l'avaient aidé se saisirent de lui, lui percèrent la langue et les doigts et le chassèrent, mettant à sa place Gérard, archidiacre de Cambrai, qui ne put apaiser les troubles et finit par se retirer au Mont-St-Eloi.

Erchemfiold, chanoine de St-Omer, fut élu à sa place, puis Autbert d'Amiens, que le clergé refusa d'accepter. C'est au milieu de ces graves conflits que Jean de Warneton fut élevé sur le siège de Thérouanne ; son sacre eut lieu à Reims le 17 juin 1099; il avait reçu la prêtrise dix jours auparavant.

Dès les premiers temps, il s'environna des hommes les plus capables de l'aider de leurs conseils : Conon d'Arrouaise, Lambert de St-Bertin, Bernard de Watten, Gérard de Ham, etc. ; en même temps, il attirait dans sa ville épiscopale des prêtres de mérite qui exercèrent la plus salutaire influence ; les dissensions se calmèrent, les esprits s'apaisèrent. Il réforma les mœurs du peuple, rappela à leur devoir certains membres du clergé accusés de simonie et ne cessa de donner l'exemple de la piété et du zèle religieux le plus ardent.

Il reconstruisit sa cathédrale, fonda ou réforma huit monastères à Loo, à Eversame, à Bourbourg, à Ypres, à Wormezeele, à Furnes, à Choques, à Warneton.

Le Pape Pascal II avait en lui la plus entière confiance et l'employa plusieurs fois dans des affaires importantes ; il lui confia l'administration de plusieurs diocèses pendant la vacance des évêchés.

En 1128, il fut appelé à Lille pour régler un différend entre le comte de Flandre Guillaume Cliton et le Chapitre de St- Pierre ; sa sentence fut favorable à ce dernier.

Les biographes rapportent différents faits de la vie du saint évêque réputés miraculeux. Un jour un assassin s'apprêtait à le frapper, quand le fer de la lame se détacha tout à coup du bois. Un autre jour, étant à Merchem, près d'Ypres, il traversait sur un pont de bois un fossé large et profond, suivi d'une foule de peuple. Tout à coup le pont se rompit et tous furent précipités dans l'eau d'une hauteur de trente-cinq pieds ; personne ne périt, il n'y eut pas une seule blessure.

Jean de Warneton mourut le 27 janvier 1130 après trente et un ans d'épiscopat. «Il vint à son dernier jour, dit Lhermite, un lundy, à une heure ; alors sentant les approches de la mort, il voulut estre couché sur un cilice couvert de cendres. Son clergé et les religieux luy faisoient une couronne, psalmodiant pieusement à deux chœurs, et recommandant leur pontife à la Cour céleste. Mais les soupirs et les pleurs des hommes et des femmes résonnoient de tous côtés aussi haut que la musique. Environ les trois heures, cette âme sainte tombant en un doux sommeil rompit les liens du corps et tira de vol aux palmes éternelles du Paradis

Le Gallia christiana parle d'un écrit qu'il laissa et qui serait un poème à la gloire de Robert de Frison «ut erat scribendo egregie peritus, historiam rerum gestarum Roberti Frisii comitis Flandri cecinit

1- (La vie de Jean de Warneton a été écrite par Jean de Colmieu (de Collemedio) son contemporain ; par les Bollandistes (Saints de Janvier) ; par le P. Lhermite (Saints de la province de Lille, Douay et Orchies p. 324) ; par l'abbé Destombes (Vie des Saints des diocèses de Cambrai et d'Arras T, I. p. 113) ; par Mgr de Ram (Hagiographie nationale, p. 294,) etc.)

2- Lambert était le premier évêque qui occupait le siège d'Arras depuis sa séparation de celui de Cambrai.

Souvenirs religieux de Lille et de la région, 1895