Les ventres bleus des fabriques, évolution de Comines au siècle industriel 1800-1914.

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12,50 €, 1988, 501 pages (pour les frais de port nous contacter)

Par André SCHOONHEERE

PREFACE DE JEAN-MARIE DUVOSQUEL

ETUDES ET DOCUMENTS EDITES PAR LA SOCIETE D'HISTOIRE DE COMINES-WARNETON ET DE LA REGION - TOME VIII

INTRODUCTION

L'histoire des hommes et des cités est comme le récit d'un voyage le long des chemins du temps. Elle procède par étapes, soit, selon une échelle variable, par âges, périodes ou règnes. Chaque étape, dans son unité d'observation, offre la matière d'un développement complet. Dans l'histoire de l'Europe et particulièrement de la France, le XIXe siècle présente cette unité, l'espace temporel bien délimité, prolongé de quelques années, et compris entre le puissant ébranlement de la Révolution et la formidable catastrophe de la première guerre mondiale. Ce même grand intervalle, allant plus précisément de 1800 à 1914, mesure avec exactitude le parcours laborieux et accidenté de la collectivité cominoise. Il embrasse ainsi une des phases les plus caractéristiques de l'évolution de Comines. Il déroule l'éloquent volume de ses annales où s'inscrit la destinée d'une commune affligée de guerres, de crises et de révoltes, d'une ville transformée par la double croissance démographique et économique, d'une société marquée par toutes les nouveautés et assimilant le progrès par l'usage des libertés.

Vers 1800, une nouvelle ère s'ouvre pour Comines. Aux turbulences des années révolutionnaires succèdent l'ordre et la stabilité, et se fixent des règlements institutionnels promis à un solide avenir. Imposée en 1790, la coupure entre Comines-Nord et Comines-Sud, partagées par la Lys, ne peut être remise en cause. Les deux villes doivent s'administrer séparément, dépendant de deux départements différents de l'Empire français jusqu'en 1814, puis définitivement étrangères quand la frontière qui court entre elles les attaches à deux nations distinctes, pour Comines-Nord, les Pays-Bas, puis la Belgique, pour Comines-Sud, la France. Le rêve de reformer l'unité cominoise, qu'avait connue l'ancien régime, sera vite abandonné. Cominois du nord et du sud en éprouveront parfois la nostalgie. Ils sauront maintenir entre eux les liens d'une fraternité d'origine et vivront, en quelque manière, une communauté de destin. La ville française, héritière de la portion la plus riche et la plus urbanisée de l'ancienne commune, aura l'importance primordiale et sera le moteur principal du changement. En observant l'évolution de Comines-France aux péripéties les plus mouvementées et aux aspects les plus frappants, il sera loisible d'entrevoir le développement parallèle de la ville-sœur partageant la même existence et portée par les mêmes courants économiques et sociaux.

Le trait le plus marquant de la mutation cominoise au cours du siècle est l'augmentation spectaculaire de la population. Lente d'abord, puis allant de pair avec le prodigieux développement industriel, la poussée démographique bouleverse les recensements et dilate le tissu urbain. Le nombre des habitants va doubler à Comines-France, tripler à Comines-Belgique. L'agglomération s'étend de toutes parts, colonisant des quartiers neufs, créant un réseau voyer de plus en plus ramifié. La campagne recule et la proportion des ruraux ne cesse de fléchir. Une telle croissance ne résulte pas fondamentalement de l'explosion vitale d'une forte natalité et d'une longévité assurée par une meilleure prophylaxie. Elle tient surtout au véritable peuplement dû au grand courant d'immigration sorti de la Flandre belge. Le marasme de l'économie flamande a provoqué un exode massif vers la France du Nord. Le flot migrateur s'étale dans la vallée de la Lys, déborde la frontière qui toutefois, agissant comme une digue, masse une importante retenue sur la rive gauche. Des milliers de nouveaux Cominois d'expression flamande vont influencer la vie de relation et modifier quelque peu l'usage des langues. La progression mesurée dans le temps de leur afflux, l'aisance de leur assimilation, facilitée par les échanges continus entre les deux Comines et les nombreuses naturalisations françaises, limiteront la flamandisation de la société. La symbiose des communautés, l'osmose permanente à travers la frontière multipliant les liens professionnels et familiaux, composent un milieu humain original dont l'état civil mêle intimement les patronymes du Nord et du Sud et dont la langue populaire amalgame français et flamand au creuset d'un patois nourri de tournures et de vocables nouveaux, nuancé dans sa tonalité de façon finalement singulière.

La ville en pleine extension est une ruche très active. La population ouvrière, toujours plus nombreuse, tire sa subsistance du travail intense que fournil l'industrie solidement implantée le long et au sud de la Lys. Fidèle à sa vocation textile, affirmée dès le Moyen Age, Comines se dote, au XIXe siècle de puissants moyens de production au service de fabrications variées, le tissage, la filature, la filterie et plus spécialement la rubanerie. L'évolution des techniques et l'impulsion des énergies nouvelles accélèrent le progrès mécanique. L'installation de la vapeur opère les plus décisives transformations, concentrant les métiers en usines dévoreuses d'espace, développant les transports grâce principalement au prodigieux chemin de fer. La gare et la fabrique a la haute cheminée sont les monuments représentatifs de la nouvelle civilisation des machines. La création et le renforcement des entreprises font l'orgueil de la classe des capitaines d'industrie dont les produits marqués conquièrent de vastes marchés où deux articles au moins font prime le fil à coudre et surtout le ruban. L'armée des travailleurs journellement levée, ne cesse de grossir, mobilisant hommes, femmes et enfants, maîtres, auxiliaires et apprentis, engagée massivement à Comines-France et formant deux brigades mêlées, celle des ouvriers résidents et celle des frontaliers venus de la Belgique. Les hommes au travail, et plus spécialement les rubaniers, protègent leurs vêtements du contact des métiers par le port d'un tablier de forte toile bleue, noué à la taille, et cet accoutrement leur vaut le surnom de "bleus vintes", les ventres bleus des fabriques.

L'administration de la commune en perpétuelle évolution s'alourdit et se complique à mesure qu'augmente la population. La mission des responsables obéit aux directives gouvernementales et leur action, inspirée par la politique du moment, s'exercera longtemps sans rencontrer d'opposition structurée. Les municipalités successives doivent s'arranger des changements de régime qui renouvellent en France la triple et douloureuse expérience de l'empire sombrant dans la défaite, de la monarchie chassée par la révolution, de la république abîmée dans la confusion et s'accommoder du balancement du pouvoir entre l'autorité et la liberté. Le peuple malheureusement inculte s'éveille peu à peu à la conscience civique, grâce à l'instruction qui se répand et s'impose, à la vie sociale qui s'organise, à l'exercice amélioré du droit de vote, à l'entraînement des élites qu'il engendre La loi électorale levant les principales restrictions du suffrage, les ouvriers forment bientôt le plus grand nombre d'électeurs, citoyens de souche ou naturalisés arbitres d'une démocratie professionnelle et sociale, substitués aux souverains découronnés. Et c'est bien dans la masse des "ventres bleus" que se trouve la majorité de soutien d'une politique évolutive victorieuse.

La nouvelle civilisation des machines instaure un conflit permanent et multiforme entre des forces contradictoires qui accentuent les clivages de la société. C'est ainsi qu'elle accroît la distanciation entre bourgeois et paysans. L'opposition de la ville industrielle et de la campagne agricole ne cesse de s'aggraver, semblant créer deux catégories de Cominois. La population rurale, polarisée autour du hameau de Sainte-Marguerite, souffre de la prépondérance des citadins dont elle se sent de moins en moins solidaire, lassée de partager les charges excessives d'une commune aux lourds investissements, vexée du peu de considération qu'on lui porte comme elle devient inéluctablement minoritaire. Elle tentera en vain de reprendre son autonomie en demandant de former une commune séparée comme l'expérience en avait été faite très brièvement sous la Révolution, de 1790 à 1791

Le sectionnement électoral sans cesse remanié affaiblira régulièrement son poids politique.

Un temps abandonné, ce sectionnement sera finalement rétabli pour opérer la nette distinction entre citoyens de la ville et de la campagne aux comportements différents, ne laissant aux villageois qu'une chétive représentation. Ceux-ci trouveront dans la religion la compensation de leur déconvenue. S'ils ne peuvent constituer une commune, ils auront au moins, la joie et la fierté de fonder une paroisse en 1864, autour de leur église toute neuve de Sainte-Marguerite.

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TABLE DES MATIÈRES

Préface par Jean-Marie Duvosquel
Bibliographie d'André Schoonheere
Introduction
Résumé chronologique               

PREMIÈRE PARTIE: COMINES-FRANCE AUX COULEURS DES MONARCHIES NOUVELLES 1800-1840

L'AIGLE IMPERIALE
- La Révolution est finie
- La religion est rétablie
- Fêtes et célébrations
- La nouvelle administration
- Les séquelles de la séparation
- L'économie en question
- Les riches et les pauvres
- La guerre toujours recommencée
LES LYS DE FRANCE
- Les deux couronnes
- Le prix de la paix
- Successions
- La nouvelle frontière
- Vers un autre régime
LE COQ GAULOIS
- Les notables, la loi et le roi
- La révolution belge
- Les conditions d'une vie meilleure
- Ecole et paroisse
- Entreprise et travail
- Réformes et révolution
ANNEXES

DEUXIÈME PARTIE: COMINES-FRANCE AUX MARCHES DU PROGRÈS SOUS LES REGIMES SECONDS 1848-1870

LE SOLEIL REPUBLICAIN
- Les nouveaux citoyens
- Le travail et la vie
- Maux et remèdes
- Les modalités du pouvoir
LA FÊTE IMPERIALE
- Hymnes et fanfares
- La vapeur s'installe
- Travaux urbains
- Prévoyance et sécurité
- Annales religieuses
- Au service de l'Empereur
LES FEUX DU COUCHANT
- Les grands chantiers
- Fièvres de croissance
- La nouvelle paroisse
- Les bons serviteurs
- L'Aigle foudroyée
- L'année terrible
- Les pouvoirs hybrides

TROISIÈME PARTIE : COMINES-FRANCE AUX NORMES REPUBLICAINES DANS SES OEUVRES ET SES MOEURS 1870-1914

L'ESPRIT ET LA FORCE DES LOIS
- La religion dans la vie
- La République, l'Eglise et l'école
- Economie et politique
- Les anciens et les nouveaux Cominois
LES CRISES ET LES DEFIS
- Le partage des âmes et des consciences
- Progrès et résistances
- Au gré des partis et des programmes
- Les épreuves et les joies
LES SENTIERS DE LA GUERRE
- Convulsions sociales
- L'arène politique
- Anathèmes réciproques
- La marche à l'abîme

ANNEXES
Index des noms de lieux
Index des noms de personnes
Table des matières